Bases de la génétique des couleurs et des maladies liées (partie 3)

Nous avons étudié le fonctionnement des gènes des robes de pigmentation et de dilution. Attaquons-nous maintenant aux gènes gris, blanc et pie.

Les destructeurs et dominateurs

Le gris, créateur de cancers

Le gris noté G est un gène dominant qui s’exprime à l’état hétérozygote. J’ai même envie de dire que c’est un super dominant, car il écrase TOUS les autres gènes de couleurs ! Il suffit d’un seul gène G pour que votre cheval soit uniformément gris, quels que soient les autres gènes de couleurs présents sur les chromosomes.

Ce n’est pas un gène de couleur, c’est un gène destructeur. C’est à dire qu’il ne contrôle pas une dose des deux pigments du cheval ou un degré de dilution, mais qu’il détruit les pigments.

Le poulain nait avec sa robe de base, celle exprimée par les autres gènes : bai brun, alezan crins lavés, crème… Puis s’il est porteur du gène gris, celui-ci fera d’abord effet sur le contour des yeux en grisonnant cette zone, puis va s’étendre sur tout le corps et les crins plus ou moins rapidement. Le cheval va donc grisonner pendant sa croissance, jusqu’à devenir visuellement “blanc”.

Poulain Camargue, né alezan, commence à s’éclaircir (contour des yeux)

Jeune Camargue gris à gauche, Camargue plus âgé déjà « blanc » à droite

Le problème, c’est que cette saleté de gène ne détruit pas que les pigments… Il détruit aussi d’autres cellules qui vont se manifester sous forme de mélanomes. Certains de ces mélanomes sont bénins, d’autres sont cancéreux.

Plus le cheval avance en âge, plus le gène gris détruit les pigments et plus les mélanomes apparaissent. Ils se situent en majorité dans les zones sans poils : dessous de la queue, organes génitaux, intérieur des cuisses… pour les mélanomes visibles. Car les organes internes du cheval sont aussi touchés. Les chevaux gris sont condamnés par le gène G qui multiplient les mélanomes au fur et à mesure des années, aussi bien en externe qu’en interne.

Mélanomes

On comprend donc qu’à qualité comparable un cheval gris vaille moins cher qu’un cheval sans gris. L’apparition de ce gène est une erreur de la nature, un cheval gris à l’état sauvage est le plus facilement repérable par les prédateurs, la sélection naturelle aurait donc fait disparaitre ce gène. Mais c’était sans compter sur l’intervention de l’homme ! Qui trouva immensément chic d’avoir dans ses écuries des chevaux d’un “blanc neige”…

Je ne peux que vous recommander de ne pas faire reproduire de chevaux gris, à part si vous élevez des Camarguais ou du Lipizzan pour Vienne auxquels cas vous n’avez pas tellement le choix. Ou si vous êtes un chercheur travaillant sur les mélanomes et cellules cancéreuses…

Les Lipizzans n’existent pas qu’uniquement en gris !

Le Dominant White, le gène gros b0rdel

Accrochez-vous, on va parler maintenant d’un petit malin : le gène dominant hétérozygote W, Le Dominant White.

Le W n’est pas un gène destructeur qui détruit les pigments, il annule tout simplement la pigmentation soit du cheval tout entier, soit de certaines zones sur le cheval. C’est pour cela que les chevaux avec G naissent avec leur robe de base et s’éclaircissent avec l’âge, alors que les poulains avec W naissent avec leur couleur définitive.

Il n’agit pas d’une unique façon car le W se décline en … 33 formes. Il est étudié chez les chevaux qui naissent blanc uni ou presque uni alors qu’aucun de ses parents n’est blanc, sans gène G. Chez tous ces chevaux étudiés, il existe une mutation spontanée du gène W, qui prend l’une des 33 formes de W observées à ce jour et sur lesquelles les scientifiques s’arrachent les cheveux. D’ailleurs, ils ont numéroté les possibilités de W1 à W34 en sautant le W29… #oups #boulette

Le Dominant White peut apparaître là où on l’attend le moins ! Voici la Pur-Sang Sodashi

Dans ses formes les plus puissantes, le cheval est d’un blanc pur avec la peau rose, des sabots très clairs et des yeux bleus. Visuellement, c’est chouette. Côté santé, ça l’est beaucoup moins ! En effet une peau rose est non pigmentée est soumise à toutes les agressions du soleil. Ces peaux sont très sujettes aux irritations, champignons, brûlures et cancers de la peau. Les yeux bleus sont photosensibles, le soleil les agresse et peut créer des uvéites. Les chercheurs ont noté également que certaines formes de W peuvent générer de l’anémie chez le cheval.

Mais il existe un autre gros problème avec ce gène : il y a plusieurs versions de W (et les chercheurs n’ont pas encore bien défini lesquelles) qui à l’état homozygote sont létales : c’est le “lethal white”. C’est à dire que si un poulain hérite du patrimoine génétique W/W, il mourra pendant la gestation ou quelques heures après sa naissance. On évitera donc de croiser deux chevaux porteurs de W.

A l’inverse des gris, les poulains W naissent avec leur robe définitive

Les gènes tâches

Les gènes pies créent des tâches blanches plus ou moins étendues sur le corps du cheval. Ces gènes n’agissent pas comme le gris en détruisant les pigments mais comme le gène W : en empêchant dès le départ la pigmentation de certaines zones du corps, des crins, de la peau et des sabots. D’ailleurs, certaines gènes comme le sabino et le rouan sont étroitement liés à W et se situent sur la même paire de chromosome dans l’ADN.

Tobiano, la star des pies

Le gène dominant Tobiano noté TO est le gène le plus répandu de pie. Il s’additionne aux gènes de couleurs du cheval et lui crée des tâches blanches plus ou moins étendues. Au moins une partie des tâches blanches traversent le dos du cheval dans le cas du tobiano.

Ce gène est très fréquent chez les poneys et les chevaux américains. Longuement boudé par le marché du sport européen, le gène tobiano avait disparu des lignées. Mais depuis quelques années, l’originalité est à la mode et ce gène est réintroduit dans les lignées de sport avec notamment les étalons Limbo et Utah Van Eperkom. On commence à les voir donc sur les très grosses épreuves, comme la jument Catapulte montée par Michel Robert ou Ulyss Morinda sous la selle de Rik Hemeryck.

Les chevaux de sport pie homozygote sont actuellement très recherchés pour la reproduction, puisqu’ils assurent d’avoir un poulain pie qui devrait avoir des prédispositions sportives.

Catapulte, la partenaire haute en couleurs de Michel Robert

L’overo, surtout pas homozygote

Le gène dominant overo noté O est fréquent chez les chevaux américains, Quarter Horse notamment. Ce gène crée des marques blanches sur n’importe quelle robe de base du cheval, mais à l’inverse du tobiano ces tâches ne franchissent jamais la ligne du dos et ne s’étendent pas sur les membres.

Les chevaux sont forcément Overo hétérozygote (1 seul gène Overo sur la paire de chromosomes), car l’Overo est soumis au Lethal White du W. Les poulains Overo homozygotes naissent entièrement blancs et avec une malformation du tube digestif qui ne lui permet pas de survivre plus de 3 jours après la naissance.

On ne croise donc jamais deux reproducteurs Overo ensemble, et si vous avez un doute en croisant deux chevaux pies ensemble il vaut mieux faire un test ADN afin de vérifier à quels gènes de pie on a affaire.

Vaqueros Delite, Paint overo

Tovero, comme des Lego

Le gène Tovero … n’en est pas un ! Il s’agit de l’expression simultanée d’un cheval à la fois Tobiano et Overo.

Visuellement, le cheval a des tâches traversant la ligne de dos ainsi que d’autres tâches qui se limitent à l’encolure, les flancs ou la croupe. Le blanc est parfois prédominant à 90% chez les chevaux tovero, la robe de base ne sera plus visible que sur une partie de la tête ou de la croupe.

Un cheval tovero étant porteur de l’overo, on ne le croisera jamais avec un autre cheval overo ou tovero pour éviter le “lethal white”

Petey Gun, Quarter Horse tovero

Sabino, gène éclaboussure

Le gène Sabino noté SB fonctionne avec le gène W. Il existerait plusieurs variantes de ce gène Sabino, comme pour le W, qui paraissent Dominants. Les recherches n’ont pas terminé de révéler tous les secrets de ce gène.

Visuellement, le sabino crée des “éclaboussures” de poils blancs sur la robe de base du cheval, notamment sous le ventre ou sur les flancs.

Le sabino joue aussi au Légo, il peut s’additionner à d’autres formes de pie

Amoureux de la couleur, voici le Welsh cob Storhaug Gerwyn, alezan brûlé crins lavés balzan sabino

Balzan, petit bidou blanc

Le gène Balzan est noté SW, car il est nommé Splashed White en anglais. Vous l’avez deviné, W est encore concerné ! Il existe dans différentes déclinaisons de SW qui colore le ventre en blanc sur une surface plus ou moins grande, donne au cheval de grandes balzanes et du blanc sur la tête, avec au moins un oeil bleu.

Certaines recherches scientifiques avancent que 2 formes du balzan sur 3 sont léthales à l’état homozygote, les embryons des poulains sont non viables. Par précaution, on évitera donc de croiser deux chevaux porteur du gène SW.

Spooks Gotta Splash, QH balzan

Rouan, l'envahisseur saisonnier

Le gène Rouan est dominant et est noté Rn. Il agit sur la robe de base dès la naissance, comme le gène W donc et non pas par destruction progressive des pigments comme le gris. La communauté scientifique écrit que le Rouan n’évolue pas avec l’âge du cheval, par contre l’effet visuel des rouans change avec les saisons. En effet les poils blancs se voient mieux l’été et le cheval semble plus clair. A l’inverse en hiver, les poils blancs se retrouvent dissimulés dans le dense poil d’hiver, le cheval paraît donc plus foncé.

Le rouan n’affectant pas la tête ou très peu, on peut visuellement le confondre avec le dun. Un indice précieux : les chevaux duns ont une raie de mulet, caractéristique qu’on ne trouve pas chez les rouans. Mais la seule façon d’en êtres certains reste d’effectuer un test génétique.

Les chercheurs, ne trouvant pas d’homozygotes Rn dans leurs premières études, ont conclu que le Rn était affecté par le lethal white… Présomption aujourd’hui réfutée puisque les nouvelles recherches ont testé génétiquement des chevaux RN/RN parfaitement sains.

Rouan sur base alezane

Rouan sur base noire

Rouan sur base baie

Complexe léopard, gène décomplexé

Le gène léopard est noté Lp et est dominant. C’est un gène écrit comme complexe car les chercheurs décrivent plusieurs variantes de gène Lp et au moins autant d’expressions visuelles différentes sur le cheval.

Lp fait apparaître des motifs blancs, généralement symétriques, qui commencent sur les hanches et la croupe. Il est à l’origine des tous les chevaux communément décrits comme “appaloosa” : en cape, capé taché, léopard, flocon de neige…

Lp agit comme W, il empêche la pigmentation dès le départ le poulain né donc avec ses tâches. Le Lp n’est pas soumis au lethal white, on peut avoir des Lp hétérozygotes comme homozygotes. Fait original, à l’inverse du crème qui a un effet plus fort à l’état homozygote (CR/CR) qu’hétérozygote (CR/cr), le Lp crée des tâches plus grandes et plus abondantes à l’état hétérozygote. Les Lp homozygotes ont des tâches plus petites et plus rares.

Le Lp fait apparaitre des motifs blancs mais aussi des sabots striés, une peau marbrée et une sclérotique, c’est-à-dire du blanc autour de l’oeil.

Le Lp à l’état homozygote altère la vision des chevaux dans des espaces faiblement éclairés, soyez donc indulgents avec vos “tâchus” qui hésitent à entrer dans des barns ou des camions. Le phénomène n’a pas été prouvé par les chercheurs sur les chevaux hétérozygotes Lp.

Les chevaux Lp sont aussi particulièrement sensibles aux uvéites, ils y sont exposés 8x plus que les autres chevaux. Les uvéites non traitées peuvent créer une cécité, le cheval devient aveugle de l’oeil atteint. On recommande donc un suivi régulier et rigoureux à ce niveau.

Ce gène est très apprécié sur le continent américain, il existe d’ailleurs un grand projet de recherche autour du Lp qui oeuvre depuis 2013 pour mieux l’étudier et le comprendre. Mais ce gène ne s’est pas développé par le biais de la reproduction contrôlée, puisque le Lp a été retrouvé en 2011 sur des échantillons ADN de chevaux préhistoriques. D’ailleurs, certaines peintures préhistoriques présentent des chevaux tachetés.

Le gène Lp a toute une palette de déclinaisons possibles

Rubican, encore un mystère

Le rubican, ou rabicano en anglais, donne visuellement un rouan qui se limiterait au sommet de la queue et aux flancs. L’expression du rubican est plus ou moins forte, et peut donner un semblant de rayures sur les flancs.

Si visuellement il fait penser au rouan, génétiquement il n’a à priori aucune familiarité avec le gène Rouan, il en est bien distinct. Par contre, le rubican semble étroitement lié au gène Sabino.

Les chercheurs observent que le Rubican semble évoluer avec l’âge du cheval, plus il vieillit plus le gène rubican est visible. Il agit donc comme G en détruisant les pigments, et non comme W en empêchant dès le départ la pigmentation. Cette présomption mérite plus de recherches car le rubican est lié au sabino qui, lui, agit comme W et non pas comme G.

Galloway Hot Peppers, Pur Sang Arabe rubican

Les risques de santé liés au pie

Comme évoqué plus haut, il ne faut pas croiser deux Overo, deux Tovero ou deux Balzan ensemble. D’une manière générale, il faut se méfier du gène W et pour s’assurer d’un poulain viable on ne croisera ses reproducteurs très colorés qu’avec des robes sans blanc.

Il faut savoir que la répartition des tâches a son importance pour les gènes pies, comme pour le gène W. Si les yeux sont dans une tâche blanche de la tête du cheval, ils seront bleus et donc particulièrement photosensibles. C’est-à-dire qu’ils sont sensibles aux rayons lumineux, le soleil leur crée un inconfort voir carrément des lésions et des uvéites.

Si les oreilles du cheval sont dans une tâche blanche de la tête, elles ne sont pas pigmentées également et certaines études ont noté que cette non pigmentation peut altérer les fonctions auditives. Comme les chiens, un cheval qui une seule oreille blanche peut avoir une audition qui n’est pas symétrique, voire être sourd de l’oreille non colorée.

Enfin, sous les tâches blanches, la peau est rose comme pour les chevaux blancs issus du W. On assurera une protection et un suivi rigoureux à ces chevaux pour les protéger du soleil à cause des risque que nous avons déjà évoqués.

Pfiou, ça en fait des possibilités dans la génétique des couleurs ! Nous avons vu au cours de cet article 9 nouveaux gènes. Mais ce n’est pas fini ! La prochaine fois nous développerons les gènes modificateurs : Sooty, Silver, Champagne, Mushroom, Pangaré, Bringé…

Ca sera le dernier article de cette longue série sur les bases de la génétique des robes et des maladies liées. 

Bonus partie 3

  • Quiz

On a vu beaucoup de choses ensemble sur cet article ! Qu’en avez-vous compris ? 

  • La suite

Prêt(e) pour la dernière partie de notre article ?

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