Les protections de travail créent-elles une surchauffe du tendon ?

Protéger ou fragiliser ? Enquête sur les risques liés à la surchauffe sous les protections

D’après une étude en 2017 sur les hippodromes, 82% des blessures qui surviennent sur les chevaux sont au niveau des membres, dont 46% sur les tendons fléchisseurs ou ligament suspenseur. C’est une réelle inquiétude, puisque 70% des chevaux blessés aux membres ne réatteignent pas leur niveau d’avant blessure (réf.1).

On comprend donc l’empressement de protéger les membres des chevaux lors des efforts dans les disciplines où cela est autorisé. En effet dans plusieurs disciplines, le type et la taille des protections des membres sont réglementés, voir interdites à cause de dérives maltraitantes pour améliorer les performances sous la douleur.

La chaleur est naturelle

Protéger les membres des chocs pour limiter les blessures paraît donc la meilleure solution. Malheureusement se faisant on coupe le système naturel de refroidissement, et gare à la surchauffe. En effet lors de l’effort, les muscles sont davantage sollicités et augmentent leur consommation énergétique. 75% de l’énergie créée lors de l’effort se transforme en chaleur, qui est évacuée par la peau. Jusqu’ici, tout va bien.

Mais lors de sports équestres, on mène le cheval athlète au maximum de ses capacités d’effort, et l’évacuation de la chaleur ne peut se faire assez vite. Elle est en plus perturbée par l’équipement, qui bloque l’évacuation de la chaleur et l’accumule sous les zones couvertes. Au niveau des membres, la chaleur créée dans les canons du cheval se retrouve stockée sous les protections de travail.

La température globale du cheval augmente donc, or la chaleur à des températures excessives est destructrice. D’après les études (réf. 2), lorsque la température interne atteint les 45°C dans le noyau central du tendon et se maintient pendant 10 minutes, 91% des cellules survivent. Lorsque la température est poussée à 48°C, seulement 22% des cellules survivent. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont perdues à jamais.

Les cellules répondent à un cycle. Certaines ne renouvellent très vite, comme celles de la peau ou de l’intestin, d’autres le sont très lentement et c’est le cas des cellules musculaires. Certaines ne se renouvellent pas du tout, comme les cellules nerveuses et cardiaques. On comprend donc que perdre 9% des cellules musculaires lors d’une exposition de 10 minutes à 45°C est inquiétant, et il est dangereux d’altérer 78% des cellules avec une exposition de 10 minutes à 48°C.

La question est donc, atteint-on ces températures au niveau des tendons du cheval à l’effort qui expliqueraient le nombre de blessures au niveau des membres ? Les protections des membres sont-elles finalement plus des fragilisateurs et des accélérateurs de blessures ?

Impact thermique des protections au travail quotidien

Une étude a été mené sur le sujet en 2014, « effet des bandes et guêtres sur la température de la peau au niveau du métacarpe des chevaux, au repos et après l’exercice » (ref. 3).

Cette étude a été menée sur 10 chevaux, qui sont 4 hongres et 6 juments donc 7 chevaux de sang, 2 poneys et 1 arabe. Ils ont entre 7 et 20 ans, la moyenne d’âge est de 12 ans.

Les prises de températures ont été réalisées grâce à un capteur près de la peau ainsi qu’à des clichés thermographiques via une caméra thermique. Elles sont réalisées au repos, puis après un travail de 20 minutes en longe (5 minutes de pas et 5 minutes de trot à chaque main).

Voici les températures obtenues avec les capteurs :

en °C Membre nu Avec guêtre Avec bande
Au repos
Minimum 6.14 7.53 7.82
Maximum 14.06 15.31 15.33
Après le travail
Minimum 6.96 15.50 18.21
Maximum 14 20.57 24.84

Et celles obtenues avec la caméra thermique :

en °CMembre nuAvec guêtreAvec bande
Au repos 
Minimum8.6311.6811.57
Maximum10.8613.6913.65
Après le travail 
Minimum8.813.3414.71
Maximum12.4517.5718.47

(l’étude détaille les températures en distinguant membres gauches et droites. Par souci de confort de lecture du tableau, je me suis permise de faire la moyenne des deux étant donné que ce n’est pas la dysmétrie potentielle de ces 10 chevaux qui nous intéresse aujourd’hui)

Les chercheurs concluent qu’au repos, les différences entre membres nus et membres avec guêtre ou bande sont peu significatives. Les écarts sont par contre plus grands au travail, et ils aimeraient faire des recherches plus poussées et en augmentant l’effort demandé aux chevaux pour d’autres conclusions.

Mon analyse

Cette recherche ne prouve donc pas grand-chose, si ce n’est que oui la température augmente pendant l’exercice, elle augmente davantage sous une guêtre et encore davantage sous une bande. Cette augmentation de la température est-elle dangereuse ?

Nous avons vu plus haut que la détérioration des cellules commence à 45°C au cœur du tendon, or nous avons ici des mesures prises à la surface de la peau. J’ai donc cherché quel était l’écart moyen entre les deux (je suis un peu étonnée que l’étude n’aille pas jusque-là d’ailleurs), et la réponse est venue de Wilson et Goodship qui en 1994 ont établi que le cœur du tendon était plus chaud de 5.4°C en moyenne que la température de la peau.

Nous avons donc de quoi faire des comparaisons à présent. Si on considère la mesure la plus chaude de l’expérience précédente, soit la mesure maximum enregistrée après le travail avec des bandes de 18.47°C, cela correspondrait à une température de 23.87°C au cœur du tendon … soit très loin des 45°C qui peuvent altérer les cellules !

On en conclut donc qu’on ne flingue pas un cheval en 20 minutes de longe avec des bandes, la température est même si peu haute qu’une fragilisation possible est difficilement envisageable. Mais qu’en est-il lors d’effort plus intense ? 

Impact thermique des protections lors d’efforts soutenus

En 2017, un groupe de recherches que j’ai déjà cité pour ces statistiques (réf. 1) a mené son étude sur les « changement de températures chez le cheval à la surface de la peau sous une protection de membre après exercice ».

Ça partait d’une question intéressante, puisque les chercheurs voulaient calculer les différences de températures selon les types de protections de membres et leurs matériaux, au cours d’une séance de travail quotidienne avec 10 minutes de marche, 5 minutes de trot, 2.5 minutes de galop puis 5 minutes de marche.

Malheureusement, cette recherche a été mal menée. Ils étaient équipés d’un thermomètre infrarouge avec une précision de plus ou moins 1.5°C, ce qui justement n’est vraiment pas précis ! Les conditions météo n’ont pas du tout été prises en compte, puisque certains chevaux ont fait leur exercice de l’étude dans un manège couvert à 5°C alors que d’autres étaient dehors dans le vent et l’humidité par -6°C et n’ont pas pu faire la phase de galop à cause du verglas et de la neige. Enfin, la prise de température se faisait après la phase de récupération de 5 minutes au pas et non pas au moment du pic d’effort. 

La différence de température qu’ils ont trouvée est donc assez moindre et, de leur propre conclusion, mérite des recherches plus approfondies.

Heureusement, une étude plus poussée a été réalisée sur le sujet en 2013 (réf. 4), et s’intéresse également aux différences de températures selon les modèles de protection utilisés.

Après une petite étude « maison » sur 4 chevaux avec travail léger pour mettre en place leur protocole de recherche, la véritable étude s’est déroulée sur 130 chevaux d’une épreuve de cross d’un concours complet CIC*. Pour être exacte, sur deux épreuves distinctes de cross : une sur 3000 mètres avec 25 obstacles à 1 mètre, et l’autre sur 3000 mètres avec 24 obstacles à 110. Les résultats étaient si proches sur les deux épreuves que les chercheurs les ont compilés pour faciliter la lecture.

Pendant l’étude préalable, les chercheurs ont équipé les 4 chevaux de deux marques sélectionnées de protection pour harmonier les résultats. Cela n’a pas été possible pendant le concours où bien sûr l’importance de l’échéance nécessitait que les cavaliers et chevaux concourent avec leur matériel habituel. Les chercheurs ont compté 21 types de protections différentes, qu’ils ont classés en 4 catégories :

    • Les guêtres fermées classiques
    • Les guêtres fermées « respirantes », perforées
    • Les guêtres ouvertes sur le devant (type « protège tendon »)
    • L’absence de guêtre (pour 2 chevaux)

La prise de température à la fin de l’épreuve se faisait juste après la ligne d’arrivée, sur la jambe gauche uniquement par souci de gain de temps. La guêtre était retirée juste avant la prise de la température, réalisée à l’aide d’un thermomètre laser.

Il y avait une petite différence de température entre les guêtres ouvertes type « protège-tendon » et les guêtres traditionnelles fermées, mais ce sont les guêtres fermées respirantes et perforées qui ont permis le mieux de limiter la prise de chaleur. Néanmoins les températures des membres sous les guêtres respirantes restent bien plus élevées que pour les deux chevaux concurrents sans protection aux membres.

Les résultats sont les suivants :

Types de guêtresMoyenne T°C du membreMinimumMaximum
Guêtres fermées traditionnelles32.3329.336.5
Guêtres fermées respirantes28.3325.632.6
Guêtres ouvertes (protège-tendon)31.128.933.4
Sans protection21.721.222.2

Déjà, on remarque que les guêtres « respirantes » sont en effet plus efficaces que les protèges-tendons dans la limitation de la hausse de la température. Jusqu’ici ce n’étaient que des arguments marketing avancés par les commerciaux sans réelle étude à l’appui, leur efficacité est ici démontrée.

Les chercheurs s’arrêtent ici dans l’étude, en concluant qu’ils ont besoin de faire des recherches plus poussées et avec un meilleur thermomètre car le leur n’était que dans le calibrage basique commercial et n’a pas été réétalonné pendant l’étude. Ce que j’en comprends, c’est que les résultats sont peu probants et qu’ils se cherchent un peu des excuses…

Mon analyse

Encore une fois, les chercheurs ont mis en avant-propos les dangers d’atteindre les 45°C au cœur du tendon, et s’arrêtent dans leur étude à la prise de température à la surface de la peau…

Je reprends donc la moyenne évoquée dans mon analyse précédente de 5.4°C de différence entre le cœur du tendon et la surface de la peau, pour rendre possible la comparaison.

La plus haute température enregistrée est 36.5°C, sous une guêtre fermée traditionnelle, ce qui correspondrait à 41.9°C au cœur du tendon. Les 45°C du seuil de destruction des cellules semblent donc plus proches.

Avant de céder à la panique, rappelons-nous que j’ai pris la valeur la plus extrême de l’étude. Si on considère la moyenne avec des guêtres « respirantes » de 28.33°C à la surface de la peau soit 33.73°C au cœur du tendon, nous avons plus de 10°C de marge avant l’altération des cellules.  De plus, cette étude a été réalisée sur des chevaux qui sortent d’une épreuve de cross d’un CIC*, dont l’effort est considérable.

J’en conclue donc qu’en tant que cavalier de loisirs, on peut protéger les membres de son cheval car les bénéfices retirés à protéger des coups sont bien supérieurs au risque réel de fragiliser par la chaleur. Les études (Réf. 5) ont montré que les guêtres absorbaient 20 à 30% des chocs, leur effet protecteur est donc vérifié. Dans des conditions d’efforts soutenus, on s’assurera d’utiliser du matériel dit « respirant » dont l’efficacité a été prouvée par les chiffres de l’étude sur le CIC*, et d’aider à l’évacuation de la chaleur après l’effort en retirant au plus tôt les protections et en douchant les membres à température ambiante.

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